Grands pass et grands espaces

Introduction 

Philippe et Rodolphe me racontaient depuis plusieurs années leurs péripéties outre-Atlantique et leur livre “Diesel USA” met en lumière le caractère sauvage et démesuré des chemins de fer Ouest-américains. Partir à l’assaut de cette vaste zone géographique relève pratiquement du rite initiatique pour les photographes européens et tous ceux qui y sont allés en reviennent transformés. A l’été 2016, alors que je m’essayais depuis quelques mois à la couleur en argentique, Philippe m’a définitivement convaincu : “Tu fais du moyen format, mets de la Provia, les vols pour Los Angeles ne coûtent pas cher, lance-toi !”.  

Et comment dire non puisque j’y ai de la famille ! Je profiterai de l’occasion pour leur rendre visite. J’ai à peine eu le temps de décider des dates, de trouver des billets d’avion et de la Provia 100F à mettre dans le Rolleiflex T que l’heure du départ sonnait déjà…  

Grands pass et grands espaces : 

La ligne du Tehachapi reliant les plaines céréalières de Bakersfield au désert de Mojave ouvre en 1876 après 4 ans de travaux. Elle rentre clairement dans la catégorie des “lignes de montagne” avec un dénivelé de 1120m franchit sur 50 miles (80kms) ! La voie, toute en courbes et contre-courbes, tente à chaque instant de se jouer d’un relief contre lequel elle semble butter sans cesse malgré une déclivité atteignant par endroit jusqu’à 2,5%. Exploitée par l’Union Pacific, elle est l’une des plus célèbres du pays. Le décor si particulier fait de buttes verdoyantes à la fin de l’hiver et desséchées à la fin de l’été a terminé de projeter sur le papier des revues et des écrans du monde entier l’image d’une ligne unique à côté de laquelle il est impossible de passer. Sur place, l’amateur ne peut qu’être sidéré par le bruit inouï produit par les machines attelées par lots de cinq ou six amenant jusqu’au col des convois de plus de dix mille tonnes.  

A quelques encablures, les courtes collines laissent place à l’immensité. Mojave est une modeste ville de quelques milliers d’âme qui donne son nom au désert qui la suit. Ce dernier sépare le bassin de Los Angeles des rives du Colorado, aux frontières de l’état. La ligne “transcon” du BNSF et la célèbre “Route 66” le traversent. Quelques ruines et commerces jalonnent le parcours, ils sont les témoins de l’époque où cet itinéraire était le seul praticable pour atteindre la cité des anges et au long duquel les voyageurs devaient dormir, se restaurer et même faire le plein de leur automobile. Aujourd’hui, la pompe de ROY’S est une surtout une boutique de souvenirs et seuls les longs trains de conteneurs pour le Pacifique rythment ses journées. 

Il faut revenir sur ses pas pour retrouver de la vie, des Motels 6 et des vendeurs de donuts par lots de 10. Autrefois rayonnantes, Barstow et Victorville ne sont plus que l’ombre d’elles-mêmes. Les quelques industries encore présentes sur place n’endiguent pas une crise sociale terrible mise en exergue par l’aridité et la rudesse des paysages. En cet été 2016, les drapeaux faisaient la promotion d’un “outsider” dans la course à la présidentielle : un certain “Donald Trump”. Les habitants de ces villes, guettés par la pauvreté, voyaient dans le magnat de l’immobilier l’espoir d’une vie meilleure que les démocrates ne leur avaient pas offerte. On sait hélas aujourd’hui combien leur situation n’a pas vraiment changé et comme le désert continue d’avancer sur ces endroits oubliés de la société capitaliste. 

Revenir à Los Angeles demande à la voie de relever un nouveau défi : le passage du Cajon. Ne soyez pas un mauvais touriste, prononcez le “Ka’houne”, comme les locaux. La ligne reliant le désert de Mojave au bassin de Los Angeles est aussi spectaculaire que sa voisine de Tehachapi. Construite sous l’égide de la CSR dans la fin des années 1880, elle sera reprise par l’ATSF, devenue BNSF et complétée d’une paire de voies construites par l’Union Pacific. Elle est d’une importance capitale pour l’écoulement du fret ferroviaire reliant L’Est à l’Ouest du pays. La ligne d’origine à la déclivité trop prononcée de 3% (!!) est délaissée au profit des voies construites ultérieurement à la déclivité plus raisonnable de 2.2%. Le point le plus connu de la ligne est la « courbe de Sullivan ». Elle offre un point de vue exceptionnel sur les convois serpentant dans un décor sculpté par la faille de San Andreas que la ligne suit à quelques mètres seulement… Elle tient son nom du photographe américain qui l’a utilisé tout au long de sa carrière pour saisir les locomotives à vapeur gravissant la rampe. Aujourd’hui, ses milliers d’héritiers continuent de s’y rendre, plantant leur trépied au lever du soleil dans l’attente du vrombissement lointain des moteurs de machines en plein travail. 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Vous souhaitez réagir : écrivez-moi !